Salamandra salamandra terrestris Linné
par Jean-Noël Latroyes
Salamandra salamandra en Franche-Comté
La salamandre tachetée, avec ses couleurs vives et sa démarche caractéristique, est l’un des amphibiens les plus emblématiques et facilement reconnaissables de nos régions. En Franche-Comté, cette espèce discrète mais fascinante occupe une place particulière dans les écosystèmes forestiers humides, jouant un rôle écologique essentiel tout en étant un indicateur de la bonne santé de ces milieux. Cet article explore les différentes facettes de la vie de la salamandre tachetée dans notre région, de sa biologie à sa conservation.
Description : Un habitant haut en couleurs

La salamandre tachetée (Salamandra salamandra) est un urodèle de taille moyenne à grande. Les adultes mesurent généralement entre 15 et 25 cm, mais certains individus peuvent atteindre exceptionnellement 30 cm. Son corps est robuste, avec une peau lisse et brillante. Sa couleur de fond est généralement un noir profond, parsemé de taches jaunes à orangées très variables en taille et en forme. Cette coloration aposématique (de mise en garde) est un signal clair pour les prédateurs potentiels, indiquant la toxicité des sécrétions cutanées qu’elle peut produire.
Par comparaison, les guêpes se parent également de ces couleurs pour dissuader leurs prédateurs de les croquer. Par appropriation, certains diptères, peu armés au départ contre leurs prédateurs, comme les inoffensives syrphes *, imitent à leur tour les formes et les couleurs des abeilles, guêpes, bourdons, pour tenter de se protéger (mimétisme aposématique de protection), Elles secrètent également des toxines qui, bien qu’inoffensives pour l’homme au simple contact, peuvent être irritantes en cas d’ingestion ou de contact avec les muqueuses.
La tête est large, avec des yeux noirs proéminents et de grandes glandes parotoïdes (situées derrière les yeux) d’où sont libérées les toxines. La queue est cylindrique et représente environ la moitié de la longueur totale de l’animal. Les jeunes, ou larves, sont aquatiques et possèdent des branchies externes plumeuses, une coloration plus terne et souvent des taches claires sur les flancs.
Répartition en Franche-Comté : Une présence généralisée mais liée aux milieux forestiers
La salamandre tachetée est largement répandue en France métropolitaine, à l’exception du pourtour méditerranéen et de certaines régions de l’ouest. En Franche-Comté, on la retrouve sur l’ensemble du territoire, de la plaine aux massifs jurassiens et vosgiens. Cependant, sa distribution n’est pas uniforme et est fortement corrélée à la présence de son habitat de prédilection : les massifs forestiers. Elle est particulièrement bien représentée dans les zones de moyenne montagne, où l’humidité et la couverture forestière sont optimales.

Habitat : Les forêts humides, son royaume
La salamandre tachetée est une espèce typiquement forestière. Elle affectionne particulièrement les forêts caducifoliées et mixtes (hêtres, chênes, sapins, épicéas) qui offrent un sous-bois riche et humide. Ses habitats de prédilection comprennent :
- Forêts fraîches et humides : Elle a besoin d’une humidité ambiante élevée pour éviter la dessiccation, car sa peau est perméable.
- Proximité de cours d’eau et de points d’eau permanents : Bien que terrestre pour la majeure partie de sa vie d’adulte, la salamandre a besoin d’eaux calmes et propres pour la reproduction et le développement de ses larves (ruisseaux, fossés, mares forestières, lavoirs, sources).
- Abondance d’abris : Elle recherche des endroits sombres et frais pour se cacher pendant la journée et durant les périodes sèches ou froides. On la trouve sous les souches, les pierres, les troncs morts, les feuilles mortes épaisses, dans les fissures rocheuses et les terriers d’autres animaux.
- Sols riches en matière organique : Ces sols abritent une faune invertébrée abondante qui constitue sa principale source de nourriture.
Elle est absente des zones fortement cultivées et des milieux trop ouverts et secs.

Le cas particulier du milieu souterrain
Offrant refuge à ces urodèles, les nombreuses grottes et gouffres qui criblent le karst * de Haute-Saône, constituent un abri bienvenu en toutes saisons. Humides à souhait, hébergeant une entomofaune abondante, les cavernes sont très prisées des salamandres tachetées.
Les pertes, en particulier, dont l’eau absorbée transite dans des galeries (certaines atteignent plusieurs kilomètres), offrent un endroit privilégié pour l’observation des salamandres. Piégées par le courant, ces urodèles, sont entrainés dans la partie souterraine (où la lumière du jour est, sinon complétement absente, au moins très diminuée). Il n’y a guère d’espoir pour elles de retrouver le chemin de l’extérieur, mais elles se sont adaptées à ces milieux obscurs où elles se reproduisent. On ne donnera pas d’indications précises de localisation des cavités où les spéléologues les observent régulièrement afin de protéger leur habitat. Elles peuvent quelquefois y constituer des colonies de plusieurs dizaines d’individus.

Salamandres tachetées – Grotte de Filain (Haute-Saône) – novembre 2005 – photographie Jean-Noël Latroyes
Reproduction : Une vie liée à l’eau
La reproduction de la salamandre tachetée est une particularité fascinante. Contrairement à de nombreux amphibiens qui pondent des œufs directement dans l’eau, la salamandre tachetée est ovovivipare, c’est-à-dire que les œufs se développent à l’intérieur du corps de la femelle, qui donne ensuite naissance à des larves déjà bien formées.
- Période de reproduction : L’accouplement a lieu généralement à la fin de l’été ou à l’automne, souvent en milieu terrestre. Le mâle dépose un spermatophore (paquet de spermatozoïdes) que la femelle récupère.
- Développement larvaire : Les larves se développent dans l’oviducte de la femelle pendant plusieurs mois. La durée de gestation est très variable et peut être influencée par les conditions climatiques et l’état physiologique de la femelle, pouvant aller de 6 mois à plus d’un an.
- Mise bas : Au printemps ou au début de l’été suivant, la femelle se rend dans un point d’eau calme et propre (ruisseau lent, source, mare, lavoir) pour y déposer ses larves. Elle peut donner naissance à une vingtaine à une cinquantaine de larves, qui mesurent déjà environ 2 à 3 cm.
- Métamorphose : Les larves, aquatiques, se nourrissent d’invertébrés aquatiques et se développent pendant plusieurs mois (généralement 3 à 4 mois en fonction de la température de l’eau et de la disponibilité de la nourriture). Elles subissent ensuite une métamorphose, perdant leurs branchies et développant leurs poumons, avant de quitter l’eau pour mener une vie terrestre. La métamorphose a lieu généralement en fin d’été ou en automne. La maturité sexuelle est atteinte vers 3-4 ans.

Salamandre tachetée Filain (Haute-Saône) – octobre 2022 – photographie Jean-Noël Latroyes
Alimentation : Un prédateur opportuniste
La salamandre tachetée est un prédateur nocturne et crépusculaire. Son régime alimentaire est composé majoritairement d’invertébrés trouvés dans le sol et la litière de feuilles. Elle se nourrit principalement de vers de terre, de limaces et d’escargots, d’insectes et de leurs larves (coléoptères, araignées, cloportes, mille-pattes) et d’autres petits invertébrés.
Les larves aquatiques, quant à elles, se nourrissent de petits invertébrés aquatiques, de larves d’insectes, de crustacés, et peuvent également être cannibales si la nourriture vient à manquer.
Protection de l’espèce : Un statut à maintenir
La salamandre tachetée est une espèce protégée en France au titre de l’arrêté du 19 novembre 2007 fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
Cela signifie que sa capture, sa détention, son transport, sa commercialisation sont interdits, de même que la destruction de ses habitats.

Bien que relativement commune en Franche-Comté, la salamandre tachetée est confrontée à diverses menaces qui nécessitent une vigilance constante :
- Destruction et fragmentation des habitats forestiers : L’urbanisation, la construction d’infrastructures routières ou ferroviaires, et certaines pratiques sylvicoles intensives peuvent entraîner la destruction directe des habitats ou leur fragmentation, isolant les populations.
- Altération et pollution des points d’eau : La qualité des points d’eau est cruciale pour le développement larvaire. La pollution par les pesticides, les herbicides, les engrais ou d’autres substances chimiques a un impact direct sur la survie des larves et des jeunes.
- Modification des régimes hydriques : L’assèchement des zones humides ou des ruisseaux temporaires peut compromettre la reproduction.
- Trafic routier : Les salamandres sont souvent écrasées sur les routes, surtout lors des migrations de reproduction ou des déplacements nocturnes.
- Changements climatiques : Des périodes de sécheresse plus longues et plus intenses peuvent affecter l’humidité des sols et la disponibilité des points d’eau.
- Maladies émergentes : Des maladies fongiques comme la chytridiomycose ou le Bsal (Batrachochytrium salamandrivorans) représentent une menace potentielle, bien que leur impact sur les populations françaises soit encore à l’étude.
Actions de conservation :
- Préservation et restauration des habitats forestiers : Maintenir des forêts diversifiées, avec une bonne proportion de vieux arbres, de bois morts et de litière.
- Protection des points d’eau : Préserver la qualité de l’eau des ruisseaux, sources et mares forestières.
- Sensibilisation du public : Informer sur l’importance de la salamandre et les menaces qui pèsent sur elle.
- Réduction de la mortalité routière : Mettre en place des passages à faune ou des panneaux de signalisation dans les zones à forte densité de salamandres.
- Suivi des populations : Des programmes de suivi permettent de mieux comprendre la dynamique des populations et d’adapter les mesures de conservation.
Conclusion
La salamandre tachetée est un indicateur précieux de la qualité des forêts humides de Franche-Comté. Sa présence témoigne d’un équilibre écologique où l’eau, la forêt et la faune s’entremêlent harmonieusement. En protégeant ses habitats et en sensibilisant le public à son importance, nous contribuons à la sauvegarde de cette espèce emblématique et, par extension, à la richesse de la biodiversité de notre région.
Pour en connaître un peu plus sur les animaux qui se déguisent en plus méchants qu’eux !
L’exemple des syrphes (aposématisme visuel)
Certaines espèces de diptères floricoles à vol bourdonnant, imitent souvent les hyménoptères aculéates (abeilles, guêpes, bourdons, etc …) pour se protéger en adoptant les couleurs jaune et noire, (mimétisme aposématique de protection).
Quelques syrphes :



Bibliographie et sources (non exhaustives) :
- Référentiels Faunistiques Régionaux :
- Inventaire du Patrimoine Naturel (INPN) : fiches espèces, répartition.
- Sociétés Herpétologiques Françaises (SHF) : atlas des amphibiens et reptiles de France.
- Ouvrages généraux sur les amphibiens :
- DUGUET, R. & MELKI, F. (coord.) (2003). Les Amphibiens de France, Belgique et Luxembourg. Biotope, Mèze ; Muséum national d’Histoire naturelle, Paris (Collection Parthénope).
- PILLET, J.-M. (2015). Guide Delachaux des amphibiens et reptiles de France et d’Europe. Delachaux et Niestlé.
- Associations de protection de la nature en Franche-Comté :
- CPEPESC Franche-Comté (Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement des Pays de l’Est et des Sources du Doubs et de l’Ain)
- LPO Franche-Comté (Ligue pour la Protection des Oiseaux)
- Conservatoire d’espaces naturels de Franche-Comté (CEN Franche-Comté)
- Articles scientifiques et rapports d’études : Consulter les publications des organismes de recherche et des bureaux d’études spécialisés en herpétologie sur la région.